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Le 12 juillet dernier, le tribunal administratif de Paris a annulé le redressement fiscal que l'État français avait infligé à la société Google au titre de ses activités sur le territoire national. Gérald Darmanin, le ministre de l'Action et des Comptes publics vient d'indiquer dans une interview accordée au quotidien "Les Echos", que l'État français allait faire appel et qu'il était disposé à négocier une transaction.
Les faits
La société irlandaise "Google Ireland Limited" (GIL) a commercialisé en France un service d'insertion d'annonces publicitaires en ligne dénommé "AdWords" lié au moteur de recherche de Google. La société Google France (GF) fournit un service d'assistance commerciale et de conseil à la clientèle pour ce service mais c'est la société GIL qui émet le contrat avec les clients français. La société française est intégralement remboursée de ses dépenses par GIL qui lui reverse en plus 8% de la marge.
La société GIL a fait l'objet d'un redressement fiscal en France de grande ampleur (1,115 milliard €) pour les exercices clos entre 2005 et 2010. L'administration a considéré que GIL disposait d'un établissement stable sur le sol français. Une telle qualification a des conséquences en matière de CVAE, de TVA et d'impôt sur les bénéfices.
De l'annulation du redressement à une éventuelle transaction
La société GIL a contesté ce redressement devant le tribunal administratif de Paris qui lui a donné raison dans le cadre de 5 jugements différents rendus le 12 juillet dernier :
- Jugement n°1505113/1-1 du 12 juillet 2017 (retenue à la source)
- Jugement n°1505126/1-1 du 12 juillet 2017 (CVAE)
- Jugement n°1505147/1-1 du 12 juillet 2017 (cotisation minimale de taxe professionnelle)
- Jugement n°1505165/1-1 du 12 juillet 2017 (TVA)
- Jugement n°1505178/1-1 du 12 juillet 2017 (impôt sur les sociétés).
Le ministre de l'Action et des Comptes publics vient d'annoncer (interview "Les Echos", édition du 25 juillet 2017) que l'État français allait faire appel de cette décision. Il estime que le tribunal a retenu avant tout le formalisme des opérations commerciales (contrats signés en Irlande) et non le fond (environ 500 salariés français travaillent à ces opérations dans une régie publicitaire).
Gérald Darmanin explique également qu'il ne souhaite pas un long contentieux et que le Gouvernement est prêt à négocier "un accord transactionnel intelligent pour l'entreprise mais aussi pour les deniers publics", ce qui constitue un véritable revirement dans les pratiques fiscales françaises. Selon lui, "il vaut mieux un bon accord qu'un mauvais procès". Pour rappel, la Grande-Bretagne avait également négocié ce type d'accord avec Google. La faiblesse de l'indemnité transactionnelle (130 millions de livres) avait cependant fait l'objet de nombreuses critiques.
La problématique des établissements stables
Cette affaire "Google" est essentielle à plus d'un titre. D'abord par l'importance des sommes en jeu (plus d'un milliard €) mais également parce que c'est la première fois que la justice se prononce sur l'imposition des grandes entreprises du numérique. Les conséquences de cette affaire pourraient donc avoir un impact sur d'autres sociétés du même secteur (Amazon, Facebook, Apple, etc.).
Le problème posé est celui de la notion d'établissement stable, dont la définition est présente dans chaque convention internationale. L'interprétation est encore plus complexe pour les entreprises du numérique. Dans sa décision du 12 juillet 2017, s'agissant de l'impôt sur les sociétés, le tribunal administratif de Paris s'est référé à la convention franco-irlandaise. La juridiction française a estimé qu'il n'y avait pas d'établissement stable en France car Google France ne pouvait engager juridiquement GIL dans la mesure où les commandes sur les annonces publicitaires réalisées en France devaient impérativement faire l'objet d'une validation par la société irlandaise.
Extrait actualité tribunal administratif du 12 juillet 2017
S’agissant de l’impôt sur les sociétés et de la retenue à la source, l’administration fiscale s’était fondée sur l’alinéa 9-c de l’article 2 de la convention fiscale franco-irlandaise qui prévoit l’imposition en cas de présence d’un établissement stable en France. Le tribunal a jugé que GIL ne disposait pas en France, en la personne morale de GF, d’un tel établissement stable. En effet, l’existence d’un tel établissement stable est subordonnée à deux conditions cumulatives : la dépendance de GF vis-à-vis de GIL et le pouvoir de GF d’engager juridiquement GIL. Or, le tribunal a estimé que GF ne pouvait engager juridiquement GIL car les salariés de GF ne pouvaient procéder eux-mêmes à la mise en ligne des annonces publicitaires commandées par les clients français, toute commande devant en dernier ressort faire l’objet d’une validation de GIL.
De toute évidence, il manque une définition commune internationale au sujet de l'établissement stable. Ce thème est présent dans le projet BEPS (Base Erosion and Profit Shifting) de l'OCDE. Les premiers apports sur ce sujet ont été divulgués, mais n'intègrent pas encore la convention fiscale au coeur du litige. De nouvelles propositions de l'OCDE sur la fiscalité du numérique sont attendues d'ici avril 2018.