Le cœur du problème : l'optimisation fiscale
Depuis plusieurs décennies, les entreprises se mondialisent de plus en plus. A contrario, les fiscalités imposant leurs bénéfices restent nationales. Actuellement, il n'existe aucune homogénéisation des différentes législations fiscales au sujet de l'impôt sur les bénéfices, tant en termes d'assiette d'imposition, que de taux d'imposition. Les multinationales ont ainsi su exploiter les failles existantes dans chacune de ces législations afin de payer un minimum d'impôt dans les pays où leurs activités économiques et la richesse créée était localisées au profit d'Etats où l'impôt sur les bénéfices est plus faible.
La fixation des prix de transfert entre 2 filiales d'un même groupe situées dans deux Etats différents, constitue l'un des points les plus sensibles à ce sujet. Beaucoup de multinationales n'hésitent pas ainsi à procéder à une facturation de prestations immatérielles plus ou moins fictives et surévaluées de manière à réduire le bénéfice d'une filiale située dans un pays à taux d'imposition élevé et à augmenter le bénéfice de la filiale située dans un pays à fiscalité plus faible. Plusieurs multinationales telles Google ou Amazon se sont vues récemment reprocher ce type de pratiques.
Les objectifs du BEPS
A la demande des ministres des Finances du G20, l'OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques) a lancé en juillet 2013 un plan d'action relatif à l'érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices. Ce plan baptisé "Projet BEPS (Base Erosion and Profit Shifting)", comprend 15 actions spécifiques à engager d'ici fin 2015 dans le but d'aider les pouvoirs publics à se doter d'outils juridiques permettant de lutter efficacement contre ces pratiques d'optimisation fiscale.
Ce projet, approuvé par les ministres des Finances du G20 et les gouverneurs de banque centrale réunis à Moscou en juillet 2013 constitue un première véritable tentative de coopération et d'homogénéisation en matière fiscale entre plusieurs pays membres et non membres du G20 et de l'OCDE.
Cette coopération devrait permettre aux Etats participants :
- de protéger leur base d’imposition,
- d'éviter les doubles exonérations,
- d'éviter d’adopter des nouvelles règles internes qui provoqueraient des situations fiscales injustes comme des doubles impositions, des contraintes fiscales supplémentaires inutiles ou des entraves aux activités transnationales,
De manière générale, l'objectif recherché est la justice fiscale c'est-à-dire faire en sorte que les multinationales payent l'impôt sur les bénéfices dans le pays où elles ont leur activité économique et où est créée la valeur ajoutée.
Le plan d'action
Le BEPS recense 15 plans d'action. L'OCDE a présenté ses premières recommandations pour une lutte appropriée contre l'évasion fiscale. Les rapports annuels et recommandations correspondant sont disponibles à l'URL suivante : http://www.oecd.org/fr/ctp/beps/actions-beps.htm
Les 15 actions du BEPS (source : http://www.oecd.org/fr/fiscalite/a-propos-de-beps.htm)
Actions | Calendrier (rapport final) | |
Action 1 | Rapport détaillé recensant les problèmes fiscaux posés par l’économie numérique et les mesures permettant de les résoudre | Octobre 2015 |
Action 2 | Recommandations concernant la conception de règles nationales et de dispositions conventionnelles visant à neutraliser les effets des montages hybrides, tant du point de vue national que sous l’angle des conventions fiscales | Octobre 2015 |
Action 3 | Recommandations concernant la conception de règles nationales visant à renforcer les règles relatives aux sociétés étrangères contrôlées | Octobre 2015 |
Action 4 | Recommandations concernant la conception de règles nationales visant à limiter l’érosion de la base d’imposition via les déductions d’intérêts et autres frais financiers | Octobre 2015 |
Modifications des règles de calcul des prix de transfert visant à limiter l’érosion de la base d’imposition via les déductions d’intérêts et autres frais financiers | Décembre 2016 | |
Action 5 | Finaliser l’examen des régimes en vigueur dans les pays membres en vue de lutter plus efficacement contre les pratiques fiscales dommageables. | Septembre 2014 |
Stratégie visant à accroître la participation des économies non membres de l’OCDE en vue de lutter plus efficacement contre les pratiques fiscales dommageables | Octobre 2015 | |
Révision des critères existants visant à lutter plus efficacement contre les pratiques fiscales dommageables | Décembre 2015 | |
Action 6 | Recommandations concernant la conception de règles nationales et de dispositions conventionnelles visant à empêcher l’utilisation abusive des conventions fiscales | Octobre 2015 |
Action 7 | Dispositions conventionnelles destinées à empêcher les mesures visant à éviter artificiellement le statut d’établissement stable | Octobre 2015 |
Action 8 | Modifications des règles de calcul des prix de transfert applicables aux biens incorporels | Octobre 2015 |
Action 9 | Modifications des règles de calcul des prix de transfert concernant les risques et le capital | Octobre 2015 |
Action 10 | Modifications des règles de calcul des prix de transfert concernant les autres transactions à haut risque | Octobre 2015 |
Action 11 | Recommandations concernant les données à collecter sur l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices et les méthodes d’analyse | Octobre 2015 |
Action 12 | Recommandations concernant la conception de règles nationales visant à obliger les contribuables à faire connaître leurs dispositifs de planification fiscale agressive | Octobre 2015 |
Action 13 | Modifications des règles de calcul des prix de transfert applicables aux exigences de documentation | Octobre 2016 |
Action 14 | Dispositions conventionnelles permettant d’accroître l’efficacité des mécanismes de règlement des différends | Octobre 2015 |
Action 15 | Rapport visant à élaborer un instrument multilatéral permettant de mettre en œuvre les mesures arrêtées lors des travaux relatifs à l’érosion de la base d’imposition et au transfert de bénéfices | Octobre 2015 |
Mise au point d’un instrument multilatéral | Juin 2017 |
Les 15 actions du projet BEPS ont été adoptées lors du sommet qui s'est tenu à Antalya les 15 et 16 novembre 2015. L'action 15 consiste en une une mise au point d'un instrument multilatéral.
La convention multilatérale
Le mercredi 7 juin 2017 à Paris, au cours d'une cérémonie de signature, les ministres et hauts représentants de 77 pays et juridictions ont signé ou ont déclaré leur intention de signer une convention multilatérale permettant d'intégrer les principes du projet BEPS de l'OCDE dans le cadre de nombreuses conventions fiscales bilatérales.
Une centaine de pays ont travaillé ensemble afin de transposer les mesures préconisées dans le cadre du BEPS dans leur législation nationale et dans les conventions fiscales bilatérales.
Compte tenu du nombre important de conventions bilatérales (plus de 1.100), une mise à jour individuelle de chacune de ces conventions aurait pris un temps considérable. La nouvelle convention multilatérale permet d'éviter tout ce travail fastidieux et de gagner plusieurs années en faveur de la lutte contre l'évasion fiscale. Une fois ratifiée par chacun des États signataires, la convention multilatérale modifiera les conventions fiscales bilatérales existantes.
Les mesures prévues par la convention multilatérale portent sur les thèmes suivants :
- les dispositifs hybrides
- l'utilisation abusive des conventions
- la définition de l'établissemement stable
- la procédure amiable
- une disposition facultative sur l’arbitrage obligatoire et contraignant (28 signataires).
94 Etats ou juridictions ont à ce jour signé la convention multilarale.
Taux d'IS minimum
Parallèlement au projet BEPS, le jeudi 1er juillet 2021, dans le cadre de l’OCDE, 130 pays ou territoires ont adopté un accord relatif à la réforme des règles fiscales internationales d’imposition des multinationales. Ce nombre est désormais porté à 140 pays.
Le 5 juin 2021 déjà, le G7 Finance était tombé d’accord sur l’application d’un taux d’IS minimum à 15% au niveau mondial, mais également sur les règles de répartition de l’impôt sur les bénéfices entre pays où sont présentes les multinationales du numérique.
L’objectif de l’accord est d’assurer le paiement des impôts des multinationales là où elles exercent leurs activités et génèrent des bénéfices.
L’accord comprend 2 piliers :
- Pilier n°1 : il garantit une répartition plus équitable de l’impôt sur les bénéfices dû par les multinationales, dont celles du numérique. Il permettra une restitution d’une partie du produit fiscal aux pays de marché dans lesquels elles exercent des activités commerciales qu’elles aient ou non une présence physique. Cette réallocation ne s’appliquerait qu’aux activités excédant une marge de 10%. Entre 20% et 30% du bénéfice résiduel serait ainsi réattribué. L’OCDE estime le gain de réallocation à 100 milliards $.
- Pilier n°2 : il introduit un taux d’impôt sur les bénéfices minimum mondial à 15%. Son instauration devrait générer environ 150 milliards $ de recettes fiscales supplémentaires par an au niveau mondial.
Le 15 décembre 2022, les 27 Etats membres de l'Union européenne ont approuvé ce texte pour la partie relative au pilier n°2. La loi de finances pour 2024 a transposé en droit français la directive européenne UE 2022/2523. Les règles d’imposition minimale s’appliquent aux exercices ouverts à compter du 31 décembre 2023.