Contexte de l'affaire
Cons.const. QPC 22 juillet 2016 n°2016-556
En l'espèce, des contribuables poursuivies pénalement pour fraude fiscale considéraient que l'application cumulée de l'article 1729 du CGI (sanction de 40% pour insuffisance de déclaration) et de l'article 1741 du même code (permettant, indépendamment des sanctions fiscales, de poursuivre pénalement le contribuable) est contraire à la Constitution en portant atteinte au principe de proportionnalité des délits et des peines.
Ils posèrent ainsi une question de constitutionnalité à la chambre criminelle de la Cour de Cassation relative à ce cumul. Considérant le sérieux de la question en ce qu’elle portait sur la compatibilité des dispositions critiquées avec le principe de nécessité des délits et des peines, la Cour la renvoya au Conseil Constitutionnel.
Celui-ci considère que l'application cumulée des 2 articles susvisés est conforme à la Constitution, car le principe de nécessité des délits et des peines ne fait pas obstacle à ce que les mêmes faits commis par une même personne puissent faire l'objet de poursuites différentes en application de corps de règles distincts et ces articles permettent d'assurer la protection des intérêts financiers de l'Etat.
Il reprend ainsi l'argumentation qu'il avait formulée dans sa décision n° 2016-545 QPC du 24 juin 2016. Il fait toutefois référence aux réserves qu'il avait énoncées dans cet arrêt.
Ainsi, le cumul doit être réservé aux fraudes les plus graves et le montant global des sanctions prononcées ne doit pas dépasser le montant le plus élevé des deux sanctions.
Extrait de l'arrêt
7. Il ressort des dispositions combinées du troisième alinéa de l'article 23-2 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 mentionnée ci-dessus et du troisième alinéa de son article 23-5 que le Conseil constitutionnel ne peut être saisi d'une question prioritaire de constitutionnalité relative à une disposition qui a déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances.
8. Le Conseil constitutionnel a spécialement examiné l'article 1729 du code général des impôts dans sa rédaction résultant de la loi du 30 décembre 2008 ainsi que les mots contestés de l'article 1741 du même code dans sa rédaction résultant de l'ordonnance du 19 septembre 2000 dans les paragraphes 10 à 25 de sa décision n° 2016-545 QPC du 24 juin 2016 mentionnée ci-dessus. Il les a déclarés conformes à la Constitution, sous certaines réserves, dans le dispositif de cette décision. En l'absence de changement de circonstances, il n'y a pas lieu de procéder à un nouvel examen de l'article 1729 du code général des impôts et des mots « soit qu'il ait volontairement dissimulé une part des sommes sujettes à l'impôt » figurant dans la première phrase du premier alinéa de l'article 1741 du même code dans sa rédaction résultant de l'ordonnance du 19 septembre 2000.
9. Il y a seulement lieu d'examiner les mots contestés de l'article 1741 du code général des impôts dans sa rédaction résultant de la loi du 12 mai 2009.
- Sur le fond :
10. Selon l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : « La loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires et nul ne peut être puni qu'en vertu d'une loi établie et promulguée antérieurement au délit, et légalement appliquée ». Les principes ainsi énoncés ne concernent pas seulement les peines prononcées par les juridictions pénales mais s'étendent à toute sanction ayant le caractère d'une punition. Le principe de nécessité des délits et des peines ne fait pas obstacle à ce que les mêmes faits commis par une même personne puissent faire l'objet de poursuites différentes aux fins de sanctions de nature administrative ou pénale en application de corps de règles distincts. Si l'éventualité que deux procédures soient engagées peut conduire à un cumul de sanctions, le principe de proportionnalité implique qu'en tout état de cause le montant global des sanctions éventuellement prononcées ne dépasse pas le montant le plus élevé de l'une des sanctions encourues.
11. Dans les paragraphes 12 à 25 de sa décision n° 2016-545 QPC du 24 juin 2016, le Conseil constitutionnel a jugé que les mots contestés de l'article 1741 du code général des impôts dans sa rédaction résultant de l'ordonnance du 19 septembre 2000 ne méconnaissent ni le principe de nécessité des délits et des peines ni le principe de proportionnalité des peines.
12. La seule modification apportée à l'article 1741 par la loi du 12 mai 2009 a consisté en la suppression de l'alinéa de cet article prévoyant l'alourdissement des sanctions en cas de récidive dans le délai de cinq ans.
Dès lors, pour les mêmes motifs et sous les mêmes réserves que ceux énoncés dans les paragraphes 12 à 25 de sa décision n° 2016-545 QPC, les mots « soit qu'il ait volontairement dissimulé une part des sommes sujettes à l'impôt » figurant dans la première phrase du premier alinéa de l'article 1741 du code général des impôts dans sa rédaction résultant de la loi du 12 mai 2009, qui ne méconnaissent ni le principe de nécessité des délits et des peines ni le principe de proportionnalité des peines ni aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent être déclarés conformes à la Constitution.
Commentaire de LégiFiscal
Une fois encore, le Conseil constitutionnel vient valider le cumul des sanctions fiscales et pénales. Les contribuables espérant une décision favorable du juge constitutionnel devront ainsi se rendre à l'évidence.
Toutefois, le Conseil pose tout de même quelques gardes fous (afin d'anticiper tout renforcement abusif de l'arsenal législatif en matière de lutte contre la fraude fiscale) en réservant le cumul aux fautes les plus graves.