Contexte de l'affaire
CE 31 mars 2017 n°389842
Le Conseil d'Etat, dans une décision n°387763 du 13 juillet 2016, considéra qu'un recours juridictionnel contre une décision administrative ne peut être formulé que dans un délai raisonnable d'un an, même si celle-ci ne mentionne pas les délais et voies de recours. En effet, le principe de sécurité juridique fait obstacle à ce que puisse être contestée indéfiniment une décision administrative individuelle qui a été notifiée à son destinataire.
Cette position est transposée en Droit fiscal.
Ainsi, en l'espèce, des contribuables furent assujettis à des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu au titre des années 1987 et 1988. A la suite de 2 réclamations, ils obtinrent un dégrèvement. En 2011, ils formèrent une nouvelle réclamation afin de contester les impositions laissées à leur charge. La décision d'imposition ne comportait pas l'indication des délais et voies de recours.
Le Conseil d'Etat rejette la demande des contribuables, au motif qu'ils n'avaient pas respecté un délai raisonnable.
La Haute juridiction considère ainsi que s'agissant du contentieux de l'assiette (détermination de la base imposable soumise à l'impôt), le délai raisonnable d'un an s'ajoute aux délais de droit commun prévus dans le livre de procédure fiscale (31 décembre de l'année N+2 en matière d'impôt sur le revenu et le 31 décembre de l'année N+1 en matière d'impôts locaux). En matière de contentieux du recouvrement le délai raisonnable d'un an prend en considération le délai de droit commun de 2 mois.
Extraits de l'arrêt
2. Il résulte de ces dispositions, d'une part, que l'avis d'imposition ou l'avis de mise en recouvrement par lequel l'administration porte les impositions à la connaissance du contribuable doit mentionner l'existence et le caractère obligatoire, à peine d'irrecevabilité d'un éventuel recours juridictionnel, de la réclamation prévue à l'article R. 190-1 du livre des procédures fiscales, ainsi que les délais de forclusion dans lesquels le contribuable doit présenter cette réclamation et, d'autre part, que le non-respect de l'obligation d'informer l'intéressé sur les voies et les délais de recours ou l'absence de preuve qu'une telle information a été fournie est de nature à faire obstacle à ce que les délais prévus par les articles R. 196-1 et R. 196-2 du livre des procédures fiscales lui soient opposables.
3. Toutefois le principe de sécurité juridique, qui implique que ne puissent être remises en cause sans condition de délai des situations consolidées par l'effet du temps, fait obstacle à ce que puisse être contestée indéfiniment une décision administrative individuelle qui a été notifiée à son destinataire, ou dont il est établi, à défaut d'une telle notification, que celui-ci a eu connaissance. Dans le cas où le recours juridictionnel doit obligatoirement être précédé d'un recours administratif, celui-ci doit être exercé, comme doit l'être le recours juridictionnel, dans un délai raisonnable. Le recours administratif préalable doit être présenté dans le délai prévu par les articles R. 196-1 ou R. 196-2 du livre des procédures fiscales, prolongé, sauf circonstances particulières dont se prévaudrait le contribuable, d'un an. Dans cette hypothèse, le délai de réclamation court à compter de l'année au cours de laquelle il est établi que le contribuable a eu connaissance de l'existence de l'imposition.
4. Par ailleurs, en vertu de l'article L. 281 du livre des procédures fiscales, les contestations relatives au recouvrement des impôts, taxes, redevances et sommes quelconques dont la perception incombe aux comptables publics doivent être adressées à l'administration dont dépend le comptable qui exerce les poursuites. Selon l'article R. 281-3 du même livre dont les dispositions ont été reprises à l'article R. 281-3-1, les réclamations préalables doivent, sous peine d'irrecevabilité, être présentées à l'administration dans un délai de deux mois à partir de la notification de tout acte de poursuite si le motif invoqué porte sur l'obligation de payer ou le montant de la dette ou du premier acte de poursuite permettant d'invoquer tout autre motif. Si la notification de la décision ne comporte pas les mentions prévues par l'article R. 421-5 du code de justice administrative ou si la preuve de la notification de cette décision n'est pas établie, le contribuable doit adresser sa réclamation dans un délai raisonnable à compter de la date à laquelle l'acte de poursuite lui a été notifié ou de celle à laquelle il est établi qu'il en a eu connaissance. Sauf circonstances particulières dont se prévaudrait le contribuable, ce délai ne saurait excéder un an.
5. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que M. et Mme A... ont fait l'objet d'un examen contradictoire de leur situation fiscale personnelle à l'issue duquel l'administration les a assujettis à des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu au titre des années 1987 et 1989, lesquelles ont été mises en recouvrement le 30 septembre 1991. A la suite de deux réclamations adressées les 31 décembre 1992 et 24 mars 1993, M. et Mme A... ont obtenu deux dégrèvements partiels en octobre 1993. En août 2011, ils ont formé une nouvelle réclamation à l'encontre des impositions laissées à leur charge. M. A... a saisi le tribunal administratif de Paris du rejet de sa réclamation. Après avoir constaté un non-lieu à statuer à hauteur d'un dégrèvement prononcé en cours d'instance, le tribunal administratif, par un jugement du 30 août 2013, a déchargé M. A...de la cotisation supplémentaire d'impôt sur le revenu à laquelle il a été assujetti au titre de l'année 1987, prononcé la réduction de l'imposition au titre de l'année 1989 et rejeté le surplus des conclusions de la demande. Saisie par le ministre de l'économie et des finances, la cour administrative d'appel de Paris, par un arrêt du 2 mars 2015, a rétabli M. et Mme A...au rôle de l'impôt sur le revenu de l'année 1989 à raison de l'imposition dont le tribunal administratif avait prononcé la décharge et a rejeté les conclusions du recours relatives à l'année 1987. Le ministre des finances et des comptes publics se pourvoit en cassation contre les articles 3 et 4 de cet arrêt.
6. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que M. et Mme A... ont eu connaissance des impositions mises à leur charge au titre des années 1987 et 1989 respectivement, au plus tard, les 24 mars 1993 et 31 décembre 1992, dates de leurs deux réclamations préalables. Ils pouvaient, compte tenu de ce qui a été dit aux points 2 et 3 ci-dessus, former leur nouvelle réclamation dans un délai qui expirait le 31 décembre 1996 pour l'imposition de l'année 1987 et le 31 décembre 1995 pour l'imposition de l'année 1989. La réclamation adressée à l'administration fiscale le 10 août 2011 était, en conséquence, tardive et, par suite, la demande enregistrée en 2012 au tribunal administratif était irrecevable. Dès lors, sans qu'il soit besoin d'examiner les moyens du pourvoi, le ministre est fondé à demander l'annulation des articles 3 et 4 de l'arrêt qu'il attaque.
7. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au fond en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative.
8. Il résulte de ce qui a été dit au point 6 que le ministre est fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif, par l'article 2 de son jugement, a déchargé M. et Mme A...de la cotisation supplémentaire d'impôt sur le revenu à laquelle ils ont été assujettis au titre de l'année 1987. Par suite, la demande de M. A...devant le tribunal administratif doit être rejetée en ce qui concerne l'imposition de l'année 1987, y compris ses conclusions formées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Commentaire de LégiFiscal
Le principe de sécurité juridique est fréquemment invoqué à l'encontre de l'administration. Il est ici invoqué à l'encontre du contribuable, afin d'encadrer le délai dont il dispose pour faire une réclamation.