Contexte de l'affaire
CE 22 septembre 2017 n°412408
Avant la publication de la loi de finances rectificative pour 2012, un montage consistait à apporter ses titres dans une société que l'on contrôlait afin de bénéficier d'un sursis d'imposition sur les titres reçus en échange de l'opération.
La société bénéficiaire de l'apport cédait ensuite immédiatement les titres apportés à leur valeur d'apport, afin de dégager de la trésorerie en franchise d'impôt. Cette opération était souvent sanctionnée sous le couvert de l'abus de droit.
Afin d'éviter les abus, le législateur a transformé le sursis en report d'imposition, prenant fin lorsque :
- les titres reçus en contrepartie de l'apport sont cédés,
- les titres apportés sont cédés par la société bénéficiaire de l'apport dans un délai de 3 ans. Néanmoins, il n'est pas mis fin au report lorsque la société prend l'engagement de réinvestir, dans un délai de 2 ans à compter de la cession, au moins 50% du produit de celle-ci, dans une nouvelle activité.
Les requérants considéraient que l'article 150-0B du CGI, dans son ancienne version instituant un sursis d'imposition, instituait une présomption irréfragable d'abus de droit et méconnaissait les principes d'égalité devant la loi et d'égalité devant les charges publiques, respectivement garantis par les articles 6 et 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789.
Le Conseil d'Etat considère que cette question de constitutionnalité n'est pas sérieuse et ne la renvoie pas devant le Conseil constitutionnel. En effet, pour lui, ce dispositif entendait faciliter les opérations de restructuration par l'octroi automatique d'un sursis d'imposition. Le fait de céder immédiatement les titres reçus en contrepartie de l'apport répond à un objectif économique lorsque le produit de cession fait l'objet d'un réinvestissement. En revanche, en l'absence de réinvestissement, une telle opération doit, en principe, être regardée comme poursuivant un but exclusivement fiscal.
Extraits de l'arrêt
4. Les requérants soutiennent que ces dispositions, telles qu'elles sont interprétées par une jurisprudence constante du Conseil d'Etat en vertu de laquelle le bénéfice du sursis d'imposition d'une plus-value réalisée par un contribuable lors de l'apport de titres à une société qu'il contrôle et qui a été suivi de leur cession par cette société est constitutif d'un abus de droit tel qu'il est défini à l'article L. 64 du livre des procédures fiscales s'il s'agit d'un montage ayant pour seule finalité de permettre au contribuable, en interposant une société, de disposer effectivement des liquidités obtenues lors de la cession de ces titres tout en restant détenteur des titres de la société reçus en échange lors de l'apport, et sauf à ce qu'il ressorte de l'ensemble de l'opération que cette société a, conformément à son objet, effectivement réinvesti le produit de ces cessions dans une activité économique, méconnaissent les principes d'égalité devant la loi et d'égalité devant les charges publiques, respectivement garantis par les articles 6 et 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789.
5. D'une part, le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit. D'autre part, en vertu de l'article 34 de la Constitution, il appartient au législateur de déterminer, dans le respect des principes constitutionnels et compte tenu des caractéristiques de chaque impôt, les règles selon lesquelles doivent être appréciées les facultés contributives. En particulier, pour assurer le respect du principe d'égalité, il doit fonder son appréciation sur des critères objectifs et rationnels en fonction des buts qu'il se propose. Cette appréciation ne doit cependant pas entraîner de rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques garantie par l'article 13 de la Déclaration de 1789.
6. En premier lieu, il ressort des dispositions contestées de l'article 150-0 B du code général des impôts, éclairées par les travaux préparatoires de la loi du 30 décembre 1999 de finances pour 2000 dont elles sont issues, que le législateur a, en les adoptant, entendu faciliter les opérations de restructuration d'entreprises, en vue de favoriser la création et le développement de celles-ci, par l'octroi automatique d'un sursis d'imposition pour les plus-values résultant de certaines opérations qui ne dégagent pas de liquidités. L'opération par laquelle des titres d'une société sont apportés par un contribuable à une société qu'il contrôle, puis sont immédiatement cédés par cette dernière, répond à l'objectif économique ainsi poursuivi par le législateur, lorsque le produit de cession fait l'objet d'un réinvestissement, à bref délai, par cette société. En revanche, en l'absence de réinvestissement, une telle opération doit, en principe, être regardée comme poursuivant un but exclusivement fiscal dans la mesure où elle conduit, en différant l'imposition de la plus-value, à minorer l'assiette de l'année au titre de laquelle l'impôt est normalement dû à raison de la situation et des activités réelles du contribuable. Il en résulte que les dispositions litigieuses, ainsi interprétées, n'instituent pas une présomption irréfragable d'abus de droit.
Commentaire de LégiFiscal
Cette affaire est intéressante, puisque le requérant considère qu'un article du CGI instaure une présomption d'abus de droit et est donc inconstitutionnel. Or c'est la jurisprudence qui considère que l'apport cession sans réinvestissement est constitutif d'un abus de droit.
Cet argument est bien évidemment rejeté.